Par un arrêt du 12 avril 2019 (n°S 2019-812), la Cour des comptes s’est prononcée sur le point de savoir si, lorsqu’ils sont chargés, dans le cadre d’un marché de prestations juridiques, du recouvrement de créances détenues par des personnes publiques en exécution de décisions de justice, les avocats devaient, comme le soutenait le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes, être déclarés gestionnaires de fait.
Le Procureur général avait en effet décidé d’ouvrir une instance en reddition de comptabilité à l’égard de plusieurs personnes, physiques et morales, dont des avocats, qui, selon lui, avaient connu, toléré ou participé à des agissements de nature à constituer une gestion de faits des deniers d’un établissement public administratif.
L’organisation du recouvrement des créances acquises par cet établissement dans le cadre d’actions subrogatoires avait – selon le Procureur général – conduit son comptable public à être « privé d’une partie importante de ses prérogatives en matière de recouvrement », cette organisation consistant, notamment, à recourir aux services de cabinets d’avocats pour assister et représenter l’établissement dans le cadre de ces actions.
A ce titre, les cabinets d’avocats devaient :
- S’assurer de la signification, pour exécution, des décisions de justice obtenues au titre des actions subrogatoires ;
- Solliciter les parties perdantes aux instances contentieuses pour que soient versées les sommes auxquelles elles avaient été condamnées sur leur compte CARPA ;
- En informer l’établissement en lui fournissant les pièces justificatives.
Il était ainsi fait grief à l’intégralité des intervenants à cette organisation (directeur de l’établissement, directeur juridique, avocats…) d’avoir méconnu le principe d’exclusivité du comptable public et, en conséquence, de s’être rendus coupables de gestion de fait.
La Cour des comptes a alors dû répondre à une question inédite, celle de savoir si un avocat titulaire d’un « marché d’assistance, de conseil, de suivi et de représentation en justice » pouvait, du seul fait de sa qualité, procéder au recouvrement des créances d’une personne publique ou s’il devait, au contraire, y être expressément autorisé par un autre titre, un mandat de recouvrement.
Rappelons, en effet, que le comptable public est seul compétent pour procéder au recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ainsi que du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités (cf. article 18 du décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012).
Une personne n’ayant pas la qualité de comptable public ne peut donc régulièrement s’immiscer dans le recouvrement de créances publiques.
A défaut, cette personne devra être regardée comme un comptable de fait – c’est-à-dire une « personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous son contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable » – et s’exposera, par conséquent, à une condamnation par la Cour des comptes pour gestion de fait (mise en débet ; amende).
Pour vérifier si les avocats se rendent coupables d’une telle infraction, la Cour des comptes est amenée à analyser si les trois éléments constituant une gestion de fait – telle que définie par les dispositions de l’article 60 XI de la loi n°63-156 du 23 février 1963 – sont réunis et ainsi apprécier si :
- Les deniers maniés ou détenus présentent un caractère public ;
- Les deniers ont été détenus ou maniés par une personne autre que le comptable public ;
- Les deniers ont été détenus ou maniés en l’absence de titre légal.
Si les deux premiers critères ne posaient pas de difficultés particulières en l’espèce, le troisième – tiré de la détention ou non d’un titre légal par les avocats – était, quant à lui, plus difficile à appréhender puisque s’opposaient sur ce point deux visions :
- Le Procureur général considérait que les cabinets d’avocats ne pouvaient « manier » les créances de leur client, personne publique, en les faisant transiter sur leur compte CARPA dès lors qu’ils ne détenaient pas un mandat de recouvrement imposé par les dispositions de l’article 40 de la loi n°2014-1545 du 20 décembre 2014 ;
- Les parties à l’instance faisaient valoir qu’un tel mandat de recouvrement n’était pas nécessaire, les avocats pouvant régulièrement faire transiter des créances obtenues en exécution d’une décision de justice sur leur compte CARPA, compte-tenu de leur mandat ad litem (cf. article 420 du code de procédure civile) et de l’impossibilité de réaliser sur lesdits comptes d’autre activité bancaire que celle de solliciter à la CARPA l’émission d’un chèque au nom de leur client.
C’est in fine cette seconde analyse qui a emporté la conviction des juges des comptes.
La Cour des comptes a ainsi décidé qu’il n’y avait pas de gestion de fait de la part des avocats compte-tenu :
- D’une part, de leur mandat ad litem qui « comporte le devoir d’accomplir au nom du mandat les actes de la procédure nécessaires ou utiles jusqu’au terme du procès», obligation qui « s’applique à tous les clients d’un avocat sans distinction entre personnes de droit privé et personnes de droit public » ;
- D’autre part, de l’absence de maniement par les avocats des deniers déposés sur leurs comptes CARPA, « les avocats n’[ayant] pas la libre disposition des sommes qu’ils doivent obligatoirement déposer» sur ces comptes puisque « les CARPA disposent (…) de la maîtrise du délai durant lesquelles les sommes transitent sur le compte de chaque avocat et bénéficient des produits financiers des sommes qui y sont temporairement déposées ».
Les juges des comptes ont, en conséquence, estimé « qu’au cas d’espèce, les avocats n’ont pas excédé leurs interventions prévues dans le cadre du mandat qui leur était confié et ont respecté les obligations légales et réglementaires qui s’imposent à eux pour la détention et le maniement des sommes dues à leurs clients en application d’une décision de justice ; qu’ils n’avaient que la détention matérielle des fonds publics devant être versés à [l’établissement] sans en avoir la libre disposition ; qu’ils n’ont ainsi joué qu’un rôle passif dans ladite détention ; qu’ils n’ont ni manié ni détenu de façon irrégulière des fonds publics ».
Cet arrêt confirme ainsi qu’un avocat n’a pas à justifier d’un mandat de recouvrement l’autorisant à recueillir sur son compte CARPA les sommes dues, au profit d’une personne publique, en exécution d’une décision de justice et confirme, de ce fait, que par l’instauration d’un mandat de recouvrement, le législateur n’a pas entendu remettre en cause le mandat spécifique détenu par les avocats et ainsi leur monopole de représentation en justice.