Par un arrêt du 31 décembre 2020, le Conseil d’État statuant en sous-sections réunies a confirmé que les maires ne peuvent pas interdire les produits phytopharmaceutiques sur le territoire de leurs communes, cette compétence relevant exclusivement des autorités de l’État au titre des pouvoirs de police administrative. Il clôture ainsi un épisode judiciaire aux forts enjeux politiques.
Ce « marathon écolo-judiciaire », selon les mots du Parisien, a commencé en mai 2019 : le maire de Langouët (Bretagne) a pris un arrêté interdisant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques sur le territoire de la commune. Par la suite, d’autres édiles avaient suivi cette voie et un « collectif de maires anti-pesticides » avait vu le jour, regroupant 120 communes. En Île-de-France particulièrement, 18 communes avaient pris des arrêtés similaires.
L’arrêt du 31 décembre constitue la première prise de position du Conseil d’État sur le sujet. En l’espèce, l’arrêté litigieux avait été pris par le maire d’Arcueil (Val-de-Marne) le 2 septembre 2019. Le préfet du Val-de-Marne avait alors déféré l’acte devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun, assorti d’une demande de suspension. Par une ordonnance du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Melun a suspendu l’exécution de l’arrêté. La commune d’Arcueil a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Paris, qui a rejeté cette requête. Un pourvoi en cassation s’en est suivi.
Le Conseil d’État a rejeté ce pourvoi. Le raisonnement est le suivant : la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sont encadrées par le code rural et de la pêche maritime dont l’article L. 253-7 dispose que « l’autorité administrative peut, dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des produits mentionnés à l’article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits ». Le code établit que cette autorité administrative est le ministre chargé de l’agriculture, ainsi que ses homologues en charge de la santé, de l’environnement et de la consommation, et au niveau local, le préfet du département concerné.
Le législateur a ainsi entendu instaurer une police spéciale, confiée aux autorités de l’État, pour la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Dans ces conditions, le pouvoir de police générale confié au maire aux termes des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ne lui permet pas d’édicter « une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques ». Les arrêtés litigieux sont donc entachés d’illégalité pour vice d’incompétence.
Cette solution concernant le concours d’une police spéciale nationale et d’une police générale locale est classique ; elle a déjà été établie par la juridiction administrative suprême en ce qui concerne les communications électroniques (CE, 26 octobre 2011, n° 326492), les OGM (CE, 24 septembre 2012, n° 342990) et plus récemment les mesures sanitaires liées à l’épidémie de COVID (CE, 17 avril 2020, n°440057). L’analyse sous-jacente est constante : le maire ne peut s’immiscer dans l’exercice d’un pouvoir de police spéciale étatique en édictant une réglementation au titre de son pouvoir de police générale.
Il est vrai que des dérogations à ce principe ont été admises, qui ont probablement encouragé les édiles concernés sur la voie du pourvoi en cassation. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, notamment, a par deux fois refusé de suspendre des arrêtés similaires, en l’espèce pris dans les communes d’Antony et de Sceaux. Ce refus est fondé à la fois sur des circonstances locales particulières (par exemple l’importance des populations vulnérables sur le territoire de la commune) et sur l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les autorités de l’État (tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ordonnance n° 1913835, 25 novembre 2019).
Mais cette position demeure isolée : la majorité des juridictions administratives ont mis en œuvre l’analyse évoquée sans que de telles circonstances puissent justifier l’intervention du maire. À ce titre, on peut voir l’ordonnance rendue par la cour administrative d’appel de Douai dans un litige opposant le maire de Chambly au préfet de l’Oise (cour administrative d’appel de Douai, ordonnance n°19DA02665, 12 février 2020). La cour a repris l’analyse du mémoire en défense produit par Claisse & Associés pour écarter le moyen tiré de l’existence de circonstances locales particulières. Elle a considéré que « ces circonstances n’autorisent pas le maire à prendre un tel arrêté y compris au titre de ses pouvoirs de police générale ou en application des dispositions susmentionnées du code de la santé publique. »
Au demeurant, le Conseil d’État n’est pas rentré dans le détail de ces considérations dans son arrêt du 31 décembre dernier. Il a constaté qu’en cas de « risque exceptionnel et justifié », c’était à l’autorité préfectorale qu’il revenait de restreindre ou d’interdire l’utilisation de tels produits, ce pouvoir « fais[ant] obstacle à l’édiction, par le maire de la commune, de mesures réglementaires d’interdiction de portée générale de l’utilisation de ces produits. » On peut alors se demander si, en relevant à deux reprises le caractère général des mesures incriminées, le Conseil d’État n’a pas entendu laisser une porte ouverte aux maires pour l’édiction de mesures spécifiques, lorsque les circonstances le justifient, comme à Antony.
Cela reste à déterminer, mais il est possible que la juridiction suprême soit de nouveau appelée à se prononcer sur ce sujet qui continue à mobiliser les édiles et faire couler l’encre.