Les dommages survenus au cours de l’épisode de violences urbaines de l’automne 2005 ne sauraient être regardés comme étant, dans leur ensemble, le fait d’un attroupement ou rassemblement au sens de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dès lors qu’il convient de prendre en considération les circonstances de temps et de lieu ayant précédé la réalisation de chacun d’entre eux (CE, 11 juillet 2011, Société Mutuelle d’Assurances des Collectivités Locales, req. n° 331669)

A la suite de l’épisode de violences urbaines qu’ont connu plusieurs villes de France au cours de l’automne 2005, la commune de Clichy-sous-Bois a été indemnisée par son assureur, la SMACL, du préjudice résultant pour elle des dégradations causées aux bâtiments municipaux et au mobilier urbain dans la nuit du 27 au 28 octobre et de la destruction d’un gymnase dans la nuit du 5 au 6 novembre.

Sur le fondement de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel l’Etat est responsable sans faute des dommages résultant des crimes et délits commis par des attroupements ou rassemblements, la SMACL a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une requête tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser une somme de 1 274 169 euros en réparation du préjudice résultant pour elle, en sa qualité d’assureur subrogé dans les droits de la commune de Clichy-sous-Bois, des évènements survenus dans les nuits du 27 au 28 octobre et du 5 au 6 novembre 2005.

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la Cour administrative d’appel de Versailles ayant rejeté sa demande, la SMACL a introduit un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Cette affaire, qui a donné lieu à la décision ici commentée, a été l’occasion, pour la Haute juridiction, de rappeler la définition de l’attroupement ou rassemblement au sens des dispositions de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales et ainsi l’étendue du champ d’application de ces dernières.

Mais elle est surtout intéressante en ce qu’elle ne fait application du régime de responsabilité prévu par les dispositions précitées que pour une part des dommages causés au cours des « émeutes » dans le contexte général de violences urbaines, le juge prenant en compte, pour la détermination du régime applicable, les circonstances de temps et de lieu.

Reprenant la jurisprudence du Tribunal des conflits selon laquelle les dispositions de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ne sont pas applicables aux actions préméditées et soigneusement mises au point par un petit groupe de personnes (TC, 24 juin 1985, Préfet, COREP du Val-de-Marne c/ TGI de Créteil : Mme Carme c/ Etat, n° 02401), les juges du Palais Royal ont distingué les dommages survenus dans la nuit du 27 au 28 octobre 2005 de ceux survenus dans celle du 5 au 6 novembre.

S’agissant des dommages causés aux bâtiments municipaux et mobilier urbain dans la nuit du 27 au 28 octobre qui a marqué le début de la période de violences, le Conseil d’Etat a estimé, contrairement à la Cour administrative d’appel, que les actes à l’origine de ces dégradations devaient être regardés comme étant le fait d’un attroupement ou d’un rassemblement au sens de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dès lors qu’ils ont été commis dans les heures qui ont suivi le décès accidentel de deux adolescents qui tentaient d’échapper à la police et en réaction immédiate à cet évènement déclencheur des « émeutes » :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans la nuit du 27 au 28 octobre 2005, qui a marqué le début d’une période de plusieurs semaines durant lesquelles des violences ont été commises dans de nombreuses communes de France, la mairie de Clichy-sous-Bois, une école maternelle et le bâtiment municipal Charlotte Petit ont fait l’objet de jets de pierres et d’autres actes de dégradation ; qu’en jugeant que ces faits perpétrés quelques heures après le décès accidentel, dans la même commune, de deux jeunes adolescents qui tentaient d’échapper à la police, n’avaient pas été commis en réaction immédiate à cet évènement, la cour a dénaturé les faits soumis à son examen ; […]

Que les dommages ainsi causés à ces bâtiments publics ont résulté de délits à force ouverte contre des biens ; que, dans les circonstances de temps et de lieu de l’espèce, ces actions doivent être regardées comme étant le fait d’un attroupement ou rassemblement au sens de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ».

En revanche, en ce qui concerne les actes à l’origine des dommages survenus dans la nuit du 5 au 6 novembre, incendie d’un gymnase enflammé de l’intérieur à l’aide d’une voiture bélier, le Conseil d’Etat a jugé qu’ils ne pouvaient être analysés comme étant le fait d’un attroupement ou rassemblement en raison de leur caractère prémédité et organisé :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans la nuit du 5 au 6 novembre 2005, vers 4h40, une voiture bélier a forcé l’accès au gymnase Armand-Desmet et a été enflammée à l’intérieur du bâtiment qui a été totalement détruit par l’incendie ; que si ces destructions ont eu lieu dans le contexte des violences urbaines qui se sont déclenchées à partir du 27 octobre 2005, la cour n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis en relevant que les agissements à l’origine des dommages en cause avaient été commis selon des méthodes révélant leur caractère prémédité et organisé et qu’il n’était pas établi qu’ils aient été en relation avec un attroupement ou un rassemblement identifié au sens de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ».

CE, 11 juillet 2011, SMACL, req. n° 331669

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