La question de la candidature d’une personne publique pour répondre au besoin d’un acheteur public – principe admis depuis 2000 – vient d’être précisée par la Haute juridiction administrative.
En 2000, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel « Aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public »[1].
Le principe acquis, la haute juridiction a ensuite, déterminé les conditions d’une telle candidature en affirmant que « si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c’est à dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de cette mission » (CE, ass., 30 décembre 2014, n°355563). C’est cette jurisprudence qui a été précisée par l’arrêt du 14 juin 2019.
Sur la notion d’intérêt public local
L’exigence d’un intérêt public local est la condition de légalité de l’intervention d’une collectivité. Cette candidature doit donc constituer le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité a la charge.
Par l’arrêt du 14 juin 2019 (N° 411444), le Conseil d’Etat précise que cette condition est remplie notamment lorsque « le contrat permettrait d’amortir des équipements dont elle [la personne publique soumissionnaire] dispose. Cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins ».
Dans cette espèce, le département de Charente Maritime, qui a remporté le marché public, dispose d’une Drague. Cet équipement n’est pas disproportionné face aux besoins et spécificités de ce département qui ne l’utilise qu’une partie de l’année. Ainsi ce marché public lui permet d’amortir cet investissement.
A la lecture de cet arrêt, on comprend donc que l’amortissement – et par amortissement on peut entendre la rationalisation de l’utilisation d’un équipement – est un intérêt public local permettant à une collectivité de candidater à un marché public.
Sur le respect des conditions de la concurrence
Le Conseil d’Etat prend ensuite soin de rappeler sa jurisprudence antérieure (énoncée par l’avis CE, 8 novembre 2000, n°222208, Sté Jean-Louis Bernard Consultant) relative au respect des règles afférentes à libre concurrence selon laquelle « le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié ».
Intervenant sur un secteur concurrentiel, il ne s’agit pas en effet que la collectivité candidate fausse le jeu de la concurrence avec les autres opérateurs. Appliquée au contentieux administratif, cette exigence est contrôlée par le Juge administratif dans des conditions variables suivant le type de recours qui a été introduit. Ainsi, dans le cadre d’un référé précontractuel, le Juge administratif ne pourra pas se prononcer sur un éventuel manquement au droit de la concurrence mais sera autorisé, de manière plus ciblée (et pour autant qu’il ait été saisi d’un tel moyen) à sanctionner le fait, pour l’acheteur public, de ne pas avoir rejeté l’offre de la personne publique candidate comme étant anormalement basse, en ce que le prix proposé par cette-dernière serait manifestement sous-évalué au regard de l’ensemble des coûts exposés (pour illustration : CE, 29 octobre 2013, Département du Gard, n°371233).
Conseil d’Etat, 14 juin 2019, Armor SNC, n°411444
[1] CE Avis, 8 novembre 2000, n°222208, Sté Jean-Louis Bernard Consultants ; voir, plus généralement : CE 30 décembre 2002, Département des Côtes d’Armor, n°218110 ; CJUE, 7 décembre 2000, Arge Gewasserschutz, Bundministerium für Land-und-Forstwirtschaft, aff. C-94/99 ; CJUE, 23 décembre 2009, Consorzio Nazionale Interuniversitario per le Scienze del Mare (CoNISMa) contre Regione Marche, aff.-305/08 ; CJUE 18 décembre 2014 Azienda Ospedaliero-Universitaria di Careggi-Firenze c/ Data Medical Service srl, aff. C-568/13.